Salle de l'Art culinaire

Au premier étage, à droite, à côté de la salle de cours de savoir-vivre, matière enseignée par Dazibao, se trouve la classe d'art culinaire d'Elaine.

Dans cette salle, les tables sont disposées en un grand demi-cercle.
Devant elles, deux grandes planches chacune sur deux tréteaux. Elaine les a recouvertes de nappes blanches immaculées.

Elle a fait un grand nettoyage de printemps. Plus une poussière ! L'art culinaire, c'est aussi la propreté et l'hygiène.
Elle a répandu sur le plancher des pétales de roses. Elle a aussi déposé de grands vases emplis de fleurs de Lys. L'art culinaire, c'est encore le plaisir de l'odeur.

Elle a accroché aux murs, des tentures aux couleurs chatoyantes et des tapisseries représentant des scènes de repas.

Quelques tableaux qu'elle a emprunté à Maître Walex, professeur d'arts picturaux.
L'art culinaire, c'est bien sûr le plaisir de la vue.

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Sur les nappes, elle a déposé de la vaisselle qu'elle a fait venir du château familial. L'art culinaire, c'est enfin le plaisir de recevoir.

Regard d'une professionnelle. Inspection, perfection, satisfaction.
Tout est prêt.

Elle décide de se rendre dans la salle des professeurs pour tenter de rencontrer Maître Dazibao fils afin de lui soumettre une idée.

SednaX était arrivée tôt ce matin-là. Elle avait travaillé tard la nuit passé afin d'être sûre d'être libérée pour assister au cours de Dame Elaine auquel elle s'était inscrite.

Arrivée devant la porte de la salle, elle attendit que d'autres élèves fassent leur apparition et que le professeur les invite à entrer.

Dazibao arriva à son tour.

Bonjour SednaX, je t'ai laissé un petit mot en salle des professeurs pour la semaine prochaine.
Le professeur n'est pas encore arrivé ?

SednaX remarqua alors que Dazibao avait apporté son écuelle et sa cuiller en bois.

"Bonjour Dazibao !"

SednaX lui sourit et ils commencèrent à discuter un peu de choses et d'autres en attendant que d'autres élèves les rejoignent et que le professeur arrive.

"Ok pour ta note, j'irai mettre le panneau d'affichage à jour à la pause ^^ Jolie ta cuillère en bois" ajouta-t-elle avec un clin d'oeil.

Elaine arriva toute essouflée devant sa salle de classe. Elle était restée si tard la veille au soir pour que tout soit parfait, que ce matin elle avait oublié de se lever.
Ses élèves attendaient patiemment devant la porte. Elle devint toute rouge et leur fit un sourire gêné.

"Je vous prie de m'excuser pour ce retard. Décidement je commence mal ma semaine !"

Elle les fit entrer puis les suivit un peu intimidée. Elle prit un profonde inspiration et fit un grand sourire.

"Bonjour à tous. Pour ceux qui ne me connaissent pas encore, je m'appelle ElainedeTroy. Mais appelez-moi Elaine, cela suffira ! Je vous souhaite la bienvenue au cours d'art culinaire du XVème siècle. Je vois que vous êtes nombreux et j'en suis ravie. J'espère que je serai à la hauteur de ce que vous attendez.
Je vais vous enseigner l'art de la cuisine, mais aussi son histoire, car histoire et cuisine sont complémentaires. En effet, l'art culinaire est un univers lié aux soubresauts de la société et des courants qui l’agitent, politiques, économiques, sociaux et culturels.
Je vous demanderai donc de prendre de nombreuses notes et surtout de me poser des questions. N'hésitez pas non plus à me demander de revenir sur un sujet qui vous a paru quelque peu obscur.
Nous allons passé une semaine ensemble, et peut-être plus si vous le désirez.
Pour que ce cours soit des plus attrayants, je vous propose de vous donner chaque jour une ou plusieurs recettes suffisament simples pour que vous puissiez la ou les réaliser chez vous. Au cours suivant, vous me donnerez votre avis sur le ou les plats préparés. Et si vous avez de trop, vous pourrez toujours les apporter à l'auberge Emuvillaine où d'aucuns se feront un plaisir de les apprécier et de les commenter !"

Elaine se mit à rire discrètement en se souvenant des délicieuses galettes de maïs chaudes de Francinette.

"Voici donc les sujets que nous aborderons :
- la littérature culinaire aux XIVème et XVème siècle
- les goûts et les pratiques régionales en Europe
- la diététique : le vulgaire et le distingué
- l'univers festif du banquet

Ce dernier sujet, le plus intéressant, s'étalera sur plusieurs jours tant il est diversifié.
Ce programme vous convient-il et avez-vous des questions ?"

Elaine fit le tour de la classe du regard et attendit.

Dazibao posa sa cuiller sur la table et son écuelle devant lui.

Elaine regarda Dazibao poser sa cuillère et son écuelle devant lui. Elle leva un sourcil et fut prise d'un grand doute.

"Maître Dazibao, je constate que vous avez apporté votre nécessaire pour manger. Peut-être que mon programme ne correspond pas exactement à vos attentes ?"

Allait-elle être obligée de changer sa façon d'enseigner ? La pratique était peut-être plus importante pour les habitants de Sarlat que la théorie ?
Elaine déglutit péniblement en attendant la réponse de son élève.

Ah ? Heu... non, enfin je ne sais pas... je suis ouvert à tout.
...
Oh ! Vous faîtes allusion à la cuiller et l'écuelle ?
C'est que chaque fois qu'on parle de nourriture, ça me donne faim. Avoir près de moi ma cuiller et mon écuelle, c'est un peu pour me contenir... c'est une astuce mentale.

"Ah ! ... Bien ! Très bien ! ... euh ! ... astuce étonnante ... Mais ce qui importe, c'est son efficacité, n'est-ce pas ?"

Elaine songea qu'il lui faudrait quand même revoir son programme, car avec de pareils élèves, elle risquait d'avoir de sérieux problèmes de refoulement psychologique à l'annonce de tous les plats et recettes qu'elle allait leur enseigner.

Elle toussa discrètement, puis sourit à nouveau pour ne pas montrer sa remise en cause.

"Bon, et bien, s'il n'y a pas d'autres observations, je vais aborder notre premier sujet :

LA LITTERATURE CULINAIRE AUX XIVème ET XVème SIECLE

C'est de 1300 environ que datent les premiers recueils de recettes d'Europe occidentale.
Il en a certes existé de beaucoup plus anciens comme en Mésopotamie dès le IIème millénaire avant notre ère, mais nous ne sommes pas ici pour les étudier.
L'apparition et la mutiplication de ces manuscrits se firent de façon concomittante dans plusieurs pays ce qui constitue un phénomène certainement significatif historiquement, mais aussi très paradoxal.
En effet, ceux qui font la cuisine, à notre époque, ne savent que très rarement lire et écrire et c'est par apprentissage qu'ils apprennent à cuisiner.
Quant aux lettrés, ils ne font jamais la cuisine eux-mêmes, sauf par plaisir, comme vous bientôt."

Elaine s'arrêta de parler et sourit gentillement à l'assemblée pour voir leur réaction.

"Quelqu'un pourrait-il me dire la raison qui a présidé à l'élaboration de ces recueils de cuisine ?"

Paysan Nombre de messages : 67 Date d'inscription : 07/09/2006

Remiz était assis au fond de cette classe. Il écouta la question posée mais, ne sachant y répondre, il ne leva pas le doigt.

SednaX ne savait pas répondre à la question, mais elle émit une supposition qu'elle partagea avec la classe, lorsque, levant la main, le professeur l'interrogea :

"Hé bien on peut imaginer que c'était pour garder une trace de ces recettes ? La tradition orale est certes la plus ancienne de toutes, mais nous savons tous qu'elle a tendance à déformer les propos, ce qui peut peut-être nuire à une recette de cuisine ? Ce n'est qu'une hypothèse, bien sûr ..."

Elaine eut un grand sourire à l'attention de SednaX qui confortait la réputation de l'intelligence des femmes de Sarlat.

"Bravo, Dame SednaX ! La réponse est parfaitement correcte.
En effet, ce sont les seigneurs qui ont ordonné à leur cuisinier de faire écrire ces livres afin de faire connaître le faste de leur table et d'en pérenniser le souvenir, mais aussi afin de conserver la recette des plats appréciés si quelques malheurs arrivaient au cuisinier. Prémices d'une future société renaissante soucieuse du plaisir et de l'apparat.
Parce que les ouvrages, avant même Gutenberg, fixent, codifient les recettes, renseignent sur les pratiques et les habitudes. À commencer par le Viandier de Guillaume Tirel, dit Taillevent (1310-1395) qui propose blanc-manger, chapon frit taillé en pièces, tarte au fromage et pâtés de poires... Beaucoup d’épices et d’acides, peu de graisse.
Même les médecins se sont intéressés à ces recueils car ils peuvent être considérés aussi comme des manuels pratiques d'hygiène alimentaire. Mais nous le verrons dans le sujet sur la diététique.
Avez-vous des questions ?"

Elaine regarda Dazibao qui fixait intensément sa cuillère et son écuelle.

Paysan Nombre de messages : 74 Date d'inscription : 10/09/2006

Opale suivait ce cours avec beaucoup d'attention. Le professeur semblait avoir une grande culture. Cela l'impressionnait et la rassurait en même temps.

"Très bien ! Puisqu'il n'y a pas de questions, passons à la rédaction de ces livres.
Les recettes de cuisine sont rédigées de façon assez diverses. Certaines sont très laconiques comme les viandiers de Guillaume Tirel, dit Taillevent (maître queux des rois Charles V et Charles VI), d'autres bavardes et malaisées à comprendre comme celles de Maître Chiquart. Mais elles ont toutes des points communs dans la forme et le contenu.

Quant à la forme, c'est leur imprécision sur les quantités et les durées de cuisson, car les cuisiniers ont des contraintes matérielles. A votre avis quelle est la principale ?"

Walex avait suivi le début de ce cours dans la concentration la plus totale. Il ne s'y connaissait pas du tout en cuisine, mis à part celle qu'il pratiquait parfois dans sa peinture. Mais cela, c'était une toute autre histoire.
Cuisine et histoire ? La cuisine un art ? Il n'avait jusqu'alors jamais pensé à tout cela. Lui qui maîtrisait les arts picturaux, il savait que les peintures teimoignent toutes de leur époque. Mais ce dont il ne s'était jamais aperçu, c'est que la cuisine également... si seulement il avait ouvert un livre de gastronomie avant, il s'en serait certainement rendu compte. Ce cours commençait vraiment bien, et était passsionnant.
Puis, il rit, il rit de bon coeur lorsque Dame Elaine de Troy fit mention du paradoxe selon lequel les lettrés ne font pas la cuisine, et où les illéttrés cuisinent. Mais il se mit à penser que cela changera certainement un jour. Les gourmands iraient certainement étudier les lettres uniquement dans le but de goûter à de nouveaux délices, cela était forcé.
Il resta concentré la suite du cours. Il tenta même de répondre au professeur, mais totalement au hasard :
- La taille du four, peut-être ? Ou bien le prix de la stère de bois, selon si la ville possède une forêt ou non ?

Elaine rit à la réponse de Walex.

"Ah ! Je vous reconnais bien là, Maître Walex ! Et bien vous avez en quelque sorte raison.
En fait, c'est la maîtrise des feux de bois qui est la contrainte matérielle principale, car il suffit d'un simple courant d'air pour que le feu s'avive ou, au contraire, une partie de la chaleur soit transportée loin de la pièce à rôtir.

Maintenant abordons les quantités.
Dans la plupart des recettes de cuisine, les ingrédients sont énumérés sans quantification. Ce vague est même un des traits qui les distingue des recettes de confiseries. La précision de ces dernières tient sans doute à leur caractère thérapeutique : elles ne sont pas l'affaire des cuisiniers mais des médecins et apothicaires habitués à peser les ingrédients de leurs drogues car beaucoup sont mortels à forte dose.
En effet, si l'on remonte dans le temps, les ancêtres de la plupart de nos confiseries sont d'abord et avant tout des médicaments. Elles le sont encore. Point n'est besoin d'être malade pour consommer les espices de chambre, comme le gingibrat (gingembre confit) ou le succre rosat (sucre aux pétales de roses).

Quant au contenu, on retrouve les mêmes plats dans la plupart des manuscrits culinaires, mais certaines recettes sont totalement indépendantes.

Voici pour le premier sujet. Avez-vous des questions avant de passer à la première recette, celle du gingembre confit ?"

"Toujours pas de questions ? C'est parfait ! Cela veut certainement dire que je suis "on ne peut plus clair" !

Voici donc la recette du gingembre confit."

GINGIBRE CONDUIT ou GINGIBRAT

"Por fere gisir o feme, feites cest gingibre conduit, prenez les racines des pannaies et cuisiez les molt bien et quant eles seront nien cuites, si les mincies et premez l'eve ors, et puis si le metez cuire ovec miel escume tant longuement que li mielz soit toz degastes, et le movez tot a dessus le feu o un baston qu'il ne se prenne a vaissel, apres si i metez les pouldres aromatiques, si come gimgibre et poivre et noiz muscates et garingal et confisiez ensemble."

Elaine se mit à rire en voyant le regard épouvanté de ses élèves.

"Voulez-vous la traduction ou serez-vous capable de refaire cette recette avec ce texte tiré du livre des simples medecines ?"

Dazibao avait beau loucher, il ne comprenait pas grand chose à ce français là.
Il avait pourtant appris à lire !

"Allons ! Allons ! Maître Dazibao ! Vous ne reconnaissez pas notre "françois" du XVème siècle ? Ce serait moins difficile si vous le lisiez à haute voix, je vous assure."

Elaine prit un malin plaisir à faire réfléchir ses élèves. Mais elle ne voulait pas les dégoûter trop vite de ses cours !

"Je ne vous fais pas languir plus longtemps. Je vois déjà des cerveaux fumer. Voici donc l'adaptation de cette recette."

- 500 g de panais paré
- 500 g de miel
- 3 ou 4 cuillerées à café de gingembre râpé
- 1 cuillerée à café de galanga râpé
- 1 cuillerée à café de poivre moulu
- 1/2 cuillerée à café de muscade râpée

Faire cuire dans l'eau pendant environ 1 heure les panais pelés. Enlever les parties dures. Les couper et les presser dans un torchon pour en extraire l'eau.
Faire cuire le miel jusqu'au petit boulé (120 °C) dans une casserole en cuivre non étamé. Bien écumer pendant la cuisson.
Ajouter les panais et cuire à feu moyen en remuant avec une spatule en bois jusqu'à ce que ne s'échappe plus de vapeur. Ajouter les épices avant la fin de la cuisson.
Etaler la pâte à environ un centimètre d'épaisseur sur une plaque à pâtisserie ou une plaque en marbre. Laisser refroidir puis détailler en petites bouchées.

"Je vous rappelle que la racine de gingembre arrive chez nous beaucoup trop sèche pour que l'on puisse confectionner à partir d'elle une confiserie tendre à manger. C'est pourquoi nous utilisons le panais, cette racine grossière caractéristique du régime des pauvres."

(HRP : le nom du panais, "Pastina ", est dérivé de "pastus" qui signifiait nourriture dans l'Antiquité. Il était très apprécié des Romains. Il remplaçait la pomme de terre avant l'introduction de celle-ci en Europe. Il est aujourd'hui toujours apprécié des anglo-saxons. Si vous ne trouvez pas de panais, prenez de la racine de gingembre fraîche mais supprimez alors le gingembre râpé).

"Qui peut me traduire les premiers mots de la recette : por fere gisir o feme ?"

Heu... pour faire plaisir aux femmes ?

Dazibao ne sachant plus trop où se mettre, resta sur place.

Elaine fit un grand sourire à Maître Dazibao qui était devenu rouge comme un coquelicot.

"Voici une forte galante traduction, Maître Dazibao, et je vous en remercie.
Ainsi, voilà pourquoi le panais est promu jusqu'aux drageoirs aristocratiques. Les grands personnages sont prêts à consommer tout ce qui done talent d'user femme.

Pour vous remercier d'avoir été si attentifs et si studieux sur ce premier sujet, je vous ai apporté une petite surprise qui fut la cause de mon retard ce matin."

Elaine souleva une serviette blanche qui recouvrait un plat rond. Sur celui-ci étaient disposés de nombreux gingembres confits.

Elle le fit passer tout d'abord à SednaX, honneur aux dames, afin que celle-ci y goûtât, puis à tous les membres de sa classe.

"Je vois le regard de certains petits malins, aussi je m'en vais les rassurer de suite. Ma nuit fut courte pour satisfaire votre gourmandise et non par l'abus d'une trop grande quantité de ces friandises."

Elle éclata de rire.

Paysan Nombre de messages : 67 Date d'inscription : 07/09/2006

Le plateau arriva à la table de Remiz. Il prit un gingembre délicatement et le porta à sa bouche. Quand il croqua, son visage s'illumina, c'était délicieux !

- Dame Elaine ! C'est délicieux ! Bravo, vraiment, je comprend pourquoi vous donner ces cours ! Merci à vous de vous être ennuyer à faire ca !

"Mais cela m'a fait très plaisir au contraire. De plus, c'est moi qui doit vous remercier de votre présence à tous et de votre intérêt à ce cours."

Elaine était toute émue.

Paysan Nombre de messages : 74 Date d'inscription : 10/09/2006

Le plateau tournait, les élèves se servaient avec curiosité et plaisir.Quand ce fut son tour , Opale goûta un gingembre confit et le savoura.

Hum, la réputation de cette confiserie n'est usurpée, se dit-elle.
Elle pensa qu'elle devrait essayer rapidement de faire cette recette. Smile

Walex eut les yeux ronds. Cela semblait réellement appétissant ! Il était loin d'imaginer une telle surprise, lui qui craignait que le professeur ne leur demande de réaliser cette recette pour leur premier cours.
Il goûta un morceau, et rectifia sa pensée : cela ne semblait pas simplement appétissant, "c'était" appétissant ! Il regarda à droite, à gauche, vit plusieurs élèves se servir à leur tour, et attendit que l'un de ses camarades se serve une seconde fois pour faire de même.

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